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Femme, sexe faible! Vraiment?

Femme, sexe faible! Vraiment?

« En Afrique la femme a toujours été soumise! Ce sont les Occidentaux qui sont venus faire croire aux femmes avec ces histoires de féminisme qu’elles sont les égales des hommes sinon nos mamans connaîssent leur place à la maison et dans la famille. »
On assiste très souvent à de tels discours et lorsqu’on émet quelques réserves, on nous sert des versets bibliques ou des sourates coraniques pour défendre ces positions. Ont-ils raisons les laudateurs de telles théories?

Au cours d’une de mes nombreuses discussions (c’est un truisme), celui avec qui je devisais m’inonda d’arguments dont plusieurs fleurissent sur les réseaux sociaux :
Lui : L’homme a toujours été le chef de la femme. Nos mamans étaient soumises et n’avaient pas leurs mots à dire. Ce sont les Occidentaux qui ont tout « gâté » avec leurs mouvements féministes.
Moi : Mais si ce sont les Occidentaux qui ont tout gâté comme tu le dis, pourquoi dans la Bible qui est arrivée à nous par les Occidentaux on parle de soumission de la femme? Les Occidentaux n’ont pas plutôt renforcé sa position de dominée ?
Lui : Parce qu’au début les Occidentaux étaient croyants donc ils savaient la place de la femme dans la société. Ce principe est divin. L’homme est le chef et c’est lui qui décide.
Moi : Ne penses-tu pas que la femme est l’égale de l’homme, que c’est juste une évolution des mentalités et que la femme ne doit plus être reléguée au rang de simple ménagère ?
Lui : Elle peut travailler mais elle ne peut pas être cheffe. Elle ne peut pas contester les ordres de son mari. Même toutes nos traditions africaines le reconnaissent.

Les mots étaient lâchés: Nos traditions africaines. Selon lui nos bisaïeux bien avant l’arrivée des Occidentaux avaient donné une place à la femme, loin des instances décisionnelles, bien des instances dirigeantes. J’avais du mal avec ça et même beaucoup de mal avec ça. Dans ce cas pourquoi il y avait des reines mères chez les Akan ? Pourquoi il y avait des reines mères au Togo, au Bénin, au Nigéria? Pourquoi il y avait des reines à Madagascar ? Pourquoi est-il admis que ces reines avaient un pouvoir politique et social ?

Un peu d’histoire s’impose

Avant l’ère coloniale, les reines mères étaient d’importantes personnalités politiques qui jouissaient du respect général. Elles sont même considérées comme de véritables monarques qui avaient des pouvoirs de décisions et l’exerçaient. Dans certaines tribus, il y avait traditionnellement des homologues masculins et féminins à tous niveaux de la hiérarchie politique. Les reines mères avaient à cette époque toute compétence sur les femmes et supervisaient également les problèmes impliquant à la fois des hommes et des femmes.

Une nouvelle position due aux colons

Les colonisateurs européens, en raison de leurs propres opinions sur le rôle des femmes dans les sociétés européennes, avaient fini par transposer ses opinions en Afrique et préféraient ainsi négocier uniquement avec les monarques masculins dans les régions où ils opèrent. De ce fait, le pouvoir des femmes monarques commença à décliner avec le temps pendant la période coloniale. Les Européens ne considèraient pas l’importance des reines mères africaines. Dans leurs récits, rapports et autres documents d’époque, les colons, missionnaires et autres Européens ne les mentionnaient que comme des « sœurs » des hommes au pouvoir.
Les reines mères, ainsi que d’autres femmes du continent sous domination coloniale, ont finalement perdu leurs privilèges et leurs droits sociaux, religieux et politiques.

Le Nigeria et l’histoire du Mikiri

J’entrepris de lui raconter l’histoire du Mikiri, une tradition chez les Igbo du Nigéria dont j’avais déjà parlé pour prouver que la démocratie existait en Afrique bien avant l’arrrivée des colons :
Alors que l’occident se démocratise, l’Afrique est perçue comme le continent ayant longtemps vécu dans un système monarchique avant d’être démocratisée de force par le biais de la colonisation. Pourtant dans un livre de l’anthropologue Butch Lee, il est retranscrit la vie en société du peuple Igbo du Nigéria. Cette histoire qui a été relatée en 1929 fait état d’une pratique ancestrale qui avait cours dans la société Igbo. Dans cette société, le leadership politique était détenu par les hommes mais les femmes avaient la possibilité de prendre part aux réunions du village car comme ils le disaient, la sagesse n’a pas de sexe. Les Igbos n’avaient pas la conception des nations dites civilisées du leadership politique et du contrôle de l’Etat avec une centralisation de l’autorité qui imposaient les décisions au peuple. Au lieu de cela, les Igbo gouvernaient par la persuasion dans un processus de discussion face à face et un consensus qui rassemblait tout le village. La fonction de chef du village était une position honorifique et non une position de commandement. Le chef ne décidait rien mais les décisions étaient prises en assemblée. C’est à ce niveau qu’intervenait une autre pratique locale appelée Mikiri (signifiant Rencontre, réunion) qui consistait en une rencontre fréquente de femmes leur permettant de partager leurs idées, leurs soucis, de défendre leurs intérêts et avoir ainsi un gouvernement parallèle leur permettant d’imposer leurs idées aux hommes.

Un mouvement féministe avait vu le jour au Nigeria bien avant l’heure européenne.
Les femmes Igbo pour manifester le mécontentement face à un homme violent avaient développé une technique de protestation qu’elles appellaient « S’asseoir sur un homme ». Lorsqu’une femme subissait les sévices d’un homme pour pour quelque autre grief, elle en faisait part aux autres femmes au cours de leur rencontre, Mikiri. Elles se réunissaient ensuite et formaient un groupe afin d’humilier publiquement l’homme fautif. Elles encerclaient sa hutte ou son lieu de travail, puis chantaient, dansaient en détaillant les griefs de son comportement. Après cela, elles passaient à une phase de repression en cognant les murs de sa maison avec des pilons et parfois en enlevant puis en détruisant la toiture de sa maison. Après cela, l’homme présentait ses excuses à sa compagne qui avait subi des sévices et on ne l’y reprenait plus.
Cette pratique accompagnée de grèves générales du sexe menée par toutes les femmes et diverses autres méthodes de résistance, a finalement fonctionné comme un outil pour que les femmes maintiennent l’équilibre du pouvoir social et politique tout au long de l’époque pré-coloniale.

Des telles manifestations de solidarité entre les femmes renforçaient leurs rôles influents dans la société et leur offrait un accès à l’autonomie.
Même si elles avaient le droit de donner leur point de vue, de pouvoir vivre en toute autonomie, de pouvoir « imposer » leurs idées, il ne serait pas honnête de dire qu’elles étaient sur un pied d’égalité avec les hommes. Les hommes avaient une légitimité naturelle (simplement parce qu’ils étaient nés hommes) pour prendre part aux réunions tandis que les femmes devaient le faire par leur travail, par leur richesse (elles pouvaient s’enrichir en toute autonomie) et grâce à leur association qui leur donnait un poids au sein de la société.
Je pourrai parler de la place de la femme chez les Yorouba ou chez d’autres peuples d’Afrique mais le texte serait trop long.

Je suis toujours amusé lorsque je lis les commentaires et arguties langières des pseudo-intellectuels des réseaux sociaux qui, méconnaissant l’histoire de l’Afrique, passent leur temps à tancer les femmes qui se reclament féministes. Mais peut-on en vouloir à des personnes qui ne vivent que dans des prismes, ceux de la domination masculine?
Des personnes qui oublient ou qui ignorent qu’au quotidien des femmes gèrent des entreprises, des femmes sont premiers ministres, des femmes sont présidentes de république, des femmes veuves ou célibataires portent sur leurs épaules des familles, des femmes sont docteures en médecin ou en droit, des femmes sont enseignantes, pilotes d’avion, conductrices de taxi, de train ou de bus.
Bref, des femmes peuvent s’asseoir au quotien aux mêmes tables que les hommes après moults tribulations et combats pour ensuite s’entendre dire qu’elles doivent se soumettre de gré ou de force ou se taire face à des hommes… leurs chefs naturels.

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