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L’arnacœur de Tinder

L’arnacœur de Tinder

J’en  avais entendu parler. J’ai finalement fini par le regarder. L’arnaqueur de Tinder.
Il s’agit d’un documentaire réalisé sur Simon Leviev, un homme d’origine israélienne qui aurait arnaqué plusieurs femmes et leur aurait dérobé plusieurs millions de dollars… dans 7 pays. Je dis « aurait » parce qu’il n’a jamais été reconnu coupable pour ces méfaits. Il a juste été condamné pour utilisation de faux documents administratifs en l’occurrence de faux passeports. Il est pourtant recherché dans 7 pays qui malheureusement n’ont pas de preuves suffisantes en dehors des témoignages des victimes pour l’inculper.

Il a trouvé la méthode parfaite, ne jamais réaliser aucune des transactions ou des retraits d’argent dans le cadre de ses arnaques. Tout est fait par ses victimes qui lui remettent l’argent ni vu ni connu.
Ce qui m’a impressionné c’est l’intelligence de Simon Leviev. Je pense qu’il a étudié la méthode à mettre en place, l’a testée sur de nombreuses femmes, la peaufinant continuellement avant d’atteindre la méthode parfaite.
Il a également étudié le comportement de ses victimes afin de savoir comment faire mouche.
Il utilise l’arnaque aux sentiments, technique bien connue des brouteurs sur internet mais il a poussé la technique plus loin puisqu’il est passé très rapidement du digital au physique.
Il ne fait jamais le 1er pas. Il se met en scène et attend que ses victimes viennent à lui avant de les rencontrer dès la prise de contact sur Tinder d’où son surnom de l’arnaqueur (j’ai bien envie d’écrire l’arnacœur) de Tinder.

Parmi les techniques bien rodées qu’il utilise, il y a celles des biais cognitifs. Ceux qui ont l’habitude de me lire savent que j’aime bien parler des biais cognitifs puisqu’ils démontrent la fragilité de notre raisonnement humain car nous nous pensons trop rationnels, trop intelligents lors de nos prises de décisions et les biais cognitifs sont là pour nous dire tous autant que nous sommes, que nous nous trompons chaque jour lorsque nous réfléchissons.
Un biais cognitif pour faire simple, est un processus de pensée rapide qui est souvent utile puisqu’il nous permet de prendre des décisions rapidement mais qui est aussi à la base de jugements erronés à cause des raccourcis que nous prenons.

Avant de revenir à l’utilisation des biais cognitifs, il faut dire qu’au préalable, on peut à travers ses techniques voir se dessiner le modèle AIDA (Attention/Internet/Désir/Action) utilisé par les marketeurs pour vendre leurs produits.
Tout d’abord Simon Leviev, l’un de ses nombreux nom, attire l’Attention par son élégance et son train de vie, il suscite ensuite l’Intérêt lors des discussions sur la plateforme digitale puis se rend Désirable en créant un sentiment de dépendance chez sa victime puisqu’il est rarement disponible; enfin il passe à l’Action.
Pour attirer l’attention, Simon Leviev n’hésite pas à présenter son train de vie qui ferait rêver un nombre assez important de femmes: séjour dans des palaces, Rolls-Royce avec garde de corps et chauffeur et voyages en Jet privé. Même si son train de vie est exubérant, il accepte de rencontrer les femmes dont le train de vie n’est certes pas semblable au sien mais n’est pas trop éloigné du sien puisqu’il veut les faire rêver. Il prend le soin de cibler des femmes qui ne sont pas désargentées. Ces femmes indépendantes peuvent se prendre en charge et voyager même si elles ne le font pas en jet privé. Elles ont leur propre appartement, etc.
De manière générale, nous sommes attirés par ceux qui nous ressemblent et ce vers quoi nous aspirons, cela à cause d’un effet de similitude. Par exemple, dans un quartier, on sympathisera avec ceux qui ont à peu près le même train de vie que nous, qui ont les mêmes projets de vie. Sur les réseaux sociaux, on discutera ou on suivra ceux qui ont le même courant de pensée, les mêmes hobbies. En entreprise si nous avons l’opportunité de recruter des personnes, nous aurons tendance à prendre ceux qui viennent de la même école que nous, qui ont approximativement le même parcours, etc. On accorde du crédit à ce qui nous ressemble alors que c’est une erreur de penser ainsi. C’est le 1er biais cognitif.

L’effet de rareté. On accorde plus de valeur à ce qui est rare. Notre cerveau associe la rareté à une chose positive, luxueuse et unique. Simon Leviev se rendait donc très souvent indisponible ce qui augmentait son importance aux yeux de ses futures victimes. C’est le 2nd biais cognitif.

En 2012, Cormac Herley chercheur chez Microsoft avait étudié plusieurs milliers de mails et avait fini par tirer la conclusion suivante : « plus c’est gros et plus ça passe ».
Pour résumer son étude (en anglais) les arnaqueurs du web ont des histoires rocambolesques et disent qu’ils viennent tous du Bénin, de Côte d’Ivoire et du Nigeria parce que ces pays sont connus comme abritant les plus grands arnaqueurs. La plupart de ceux qui lisent leurs mails les enverront à la corbeille. Il restera néanmoins un tout petit groupe d’individus n’ayant pas l’information et en plus étant crédules. Ce sont les parfaits pigeons. L’investissement (temps nécessaire) est moins important pour les arnaquer. Simon Leviev utilisait la crédulité de ses victimes avec un storytelling bien échafaudé.
Il y a quelques années, en 2016, j’ai fait la connaissance d’un jeune homme qui parlait bien et qui parlait beaucoup. Les gens l’écoutaient attentivement lorsqu’il prenait la parole puisqu’il semblait avoir vécu des histoires vraisemblables. Mais pour moi, ses histoires sonnaient faux. Elles étaient trop romancées, trop rocambolesques et je savais ou plutôt je pensais qu’il exagérait (une manière polie pour dire que c’était un patenté menteur).
Un jour il raconta qu’il était sorti avec une fille qui avait un véhicule personnel avec chauffeur et gardes de corps. Il pût rencontrer ses parents : c’était la fille… du Pape. Oui oui du Pape. Nous étions tous attablés et personne ne percuta certainement parce qu’ils n’étaient pas catholiques. Je lui fis remarquer que le Pape est à la base un prêtre et que les prêtres catholiques ne se marient pas et n’ont pas d’enfants (normalement). Et qu’en plus le Pape vit en Italie dans la Cité du Vatican. Il tenta de m’expliquer qu’il s’agissait de sa fille cachée. Une fille cachée qui a garde de corps et chauffeur. Ce n’était pas très discret. Voyant qu’il voulait se justifier, j’ai fini par perdre mon sang froid et lui dire qu’il mentait et qu’il s’agissait de la foutaise de trop parce que c’était irrespectueux pour le Pape et pour les Catholiques.
Tous les autres le croyaient jusqu’à ce que je déconstruise son storytelling. Il nous avait déjà raconté qu’il avait failli être enlevé. Qu’il avait échappé à des braqueurs, etc.
Bref, c’est pour vous montrer la crédulité des gens.
Notre cerveau aime les belles histoires, donc un individu éloquent, avec un beau storytelling face à des personnes crédules peut leur faire accepter n’importe quoi.

Enfin le dernier, le principe de réciprocité. C’est le dernier biais utilisé par Simon Leviev. Nous sommes presque tous sensibles aux cadeaux.  J’ai déjà abordé la question de la réciprocité qui est l’illustration parfaite d’un passage de la Bible qui dit : « donner et il vous sera donné ».
Voyage en Jet privé, cadeau, bouquet de fleurs, déplacement en Rolls-Royce et autres voitures de luxe sont suffisants pour mettre en confiance et dire que la personne qui nous sollicite pour la dépanner n’est pas nécessiteuse et qu’elle nous remboursera assurément surtout si c’est la personne qu’on aime et qui nous a tant donné. C’est ainsi qu’une s’est retrouvée à emprunter auprès de 9 banques et institutions de crédit… 250 000€ soit 164 millions de FCFA. Somme qui bien sûr n’a pas jamais été remboursée par son « élu » qui a pris la poudre d’escampette la laissant seule face à ses créanciers.
J’ai hésité avant d’écrire cette publication car elle dénonce certes mais propose des « astuces » pour se jouer des « âmes sœurs ».

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