Paris sportif en Côte d’Ivoire
Pari Sportif en Côte d’Ivoire: entre passion, illusion et désillusion
J’ai vu passer sur les réseaux sociaux au mois d’avril ce qui semblait être une campagne de sensibilisation initiée par Betclic. Le slogan était : « #JoueResponsable! »
On pourrait applaudir car depuis longtemps nous appelons à la sensibilisation contre les paris sportifs mais grattons un peu la surface pour voir ce qui se cache derrière les paris sportifs et si une « simple vidéo de sensibilisation » est suffisante pour refréner l’ardeur des joueurs.
En Côte d’Ivoire, le pari sportif s’est rapidement transformé en phénomène de masse ou de mode. Porté par des plateformes comme Betclic, 1xbet, Premier Bet, 888starz, Melbet, 1Win, Paripesa, Megapari ou encore Akwabet ce loisir est devenu une industrie florissante. Pour les jeunes, en majorité, c’est souvent plus qu’un jeu : c’est un espoir, un plan de sortie du train-train quotidien, une tentative de sortir de la galère financière. Mais derrière l’adrénaline du match et le frisson du ticket gagnant se cache une mécanique impitoyable pour soutirer toujours plus d’argent aux parieurs.
Entre 2022 et 2023, le chiffre d’affaires des 2 principaux opérateurs agréés en Côte d’Ivoire que sont 1xbet (via Ludus) et Betclic, a explosé de 20,8 milliards FCFA à 56,7 milliards FCFA, soit une croissance de 172 %. Betclic à elle seule est passée de 3 milliards à 24,8 milliards FCFA de CA en une (1) seule année, avec un bénéfice net qui est passé de 36 millions de FCFA de 3,2 milliards FCFA. Du côté de 1xbet, le bénéfice net s’élève à près d’un (1) milliard FCFA pour un chiffre d’affaires s’élevant à 31,9 milliards en 2023.
Derrière ces chiffres mirobolants pour les plateformes se cache une réalité plus sombre pour les joueurs. En 2023, selon Bloomberg, la jeunesse africaine a investi plus de 1 561 milliards de FCFA dans les paris sportifs. Mais combien ont véritablement gagné ?
Le paradoxe des gains et des pertes
A ce niveau, nous n’avons aucun chiffre. Combien de personnes gagnent véritablement chaque ? A combien s’élèvent les gains des gagnants ? Quels sont les montants des pertes en moyenne avec un rapport somme dépensée/montant gagné ?
Ce sont des questions qu’on se pose, qu’on pose aux entreprises mais pour lesquelles on ne trouve pas de réponse.
Et c’est là qu’est le véritable piège des paris sportifs, l’illusion que l’on va finir par gagner ou lorsqu’on a gagné de petites sommes, qu’on va gagner gros. Mais comme le dit un psychologue pour répondre à cette problématique : l’espoir, c’est ce qui crée votre désespoir.
Le problème, c’est que les pertes sont structurelles. Le système est conçu pour que la majorité perde. Toutefois, il faut être un brin honnête, tous ne sont pas perdants et tous ne perdent pas tout le temps sinon ils auraient abandonné le jeu depuis for longtemps. ce qu’il faut savoir, c’est qu’à chaque mise, les plateformes prélèvent une marge, appelée « edge« , qui les assure d’un revenu, indépendamment des résultats. Le joueur, lui, est pris dans une boucle : perte / espoir / mise / gain / mise / perte / nouvelle tentative.
En France, l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) a tiré la sonnette d’alarme. En 2022, les joueurs ont misé plus de 7,8 milliards d’euros en ligne. Pourtant, près de 50 % des joueurs déclarent avoir perdu de l’argent soit un (1) joueur sur deux (2). Les 50% qui prétendent gagner évaluent très mal le montant de leur gains. En réaction, l’ANJ a interdit certaines publicités jugées trompeuses, car elles laissaient entendre que le pari sportif pouvait mener à une ascension sociale. Ces pubs véhiculaient des messages tels que « grâce aux paris, je suis devenu quelqu’un », reprenant le fantasme du gain miracle.
En Côte d’Ivoire, des publicités similaires circulent sans restriction. Sur les réseaux sociaux, les influenceurs distribuent des codes promo pour attirer leurs communautés. « Joue responsable », dit la pub de Betclic. Une formule qui sonne creux. Les jeux d’argent peuvent créer une addiction et cette addiction aux jeux d’argent est reconnue telle une maladie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Dire à quelqu’un qui sans le savoir est malade de jouer responsable, c’est comme si un vendeur de drogue vous disait de vous droguer avec modération ou avec responsabilité.
Le lien vicieux entre passion et illusion
Pourquoi les jeunes tombent-ils aussi facilement dans le piège ? Parce que le pari sportif est intimement lié à leur passion pour le football. Ils jouent au foot le week-end, ils connaissent les joueurs, les statistiques des équipes, ils supportent leur équipe, ce qui est différent des jeux d’argent comme le Lotto ou le jeu des numéros est basé strictement sur de la chance. Et c’est là que le piège se referme.
Dans une interview, le footballeur Français Lilian Thuram, ce dernier disait à ce propos:
« Les paris sportifs sont tellement proches de la passion des joueurs puisqu’ils pratiquent le foot en amateur, ils supportent une équipe dont ils suivent la progression, ils connaissent les joueurs, les statistiques des équipes donc ils sont persuadés qu’ils vont finir par maîtriser le jeu à force de jouer, parce que ça ne sera plus du hasard. Donc vous finissez par croire que vous allez gagner. C’est ça le piège ! »
Sur Snapchat, TikTok, Telegram, une nouvelle figure a émergé : le tipster. C’est celui qui vend des « pronostics sûrs », ou plutôt des statistiques déguisées en recettes miracles. Contre paiement ou abonnement, ces tipsters promettent des gains faciles grâce aux conseils ou aux tips qu’ils donnent. Pour prouver qu’ils gagnent et qu’il faut leur faire confiance, ils se mettent en scène avec des liasses de billets, des voitures de luxe, ou des captures d’écran de tickets gagnants mais ce n’est souvent qu’un mirage!
L’un des cas les plus emblématiques, c’est Pronoclub. Plateforme de pronostics français, elle a fait rêver des milliers de jeunes avec des promesses de gains à 5 chiffres.
Résultat des cours : la société a été placée en liquidation judiciaire. Des clients se sont retrouvés floués. Derrière l’image d’un business rentable, c’était surtout une mécanique bien huilée d’exploitation de la crédulité.
Le pari sportif ne détruit pas seulement les portefeuilles, il détruit aussi les équilibres mentaux. En Côte d’Ivoire, près de 40 % des jeunes adultes engagés dans les paris sportifs déclarent avoir contracté des dettes pour continuer à jouer. Certains vendent leur téléphone, empruntent à leurs proches, mentent à leurs familles.
Les psychologues parlent d’addiction comportementale. Le joueur ne mise plus pour gagner, il mise parce qu’il ne peut plus s’en empêcher. Le cerveau est programmé pour répondre à la récompense aléatoire. Comme dans les machines à sous, l’illusion du « presque gagné » pousse à rejouer encore et encore.
Le pari sportif n’est pas qu’un jeu. C’est une industrie de plusieurs milliards, qui exploite des émotions humaines profondes : l’espoir, la passion, le besoin de contrôle.
En Côte d’Ivoire comme ailleurs, il est urgent de briser le mythe : NON, vous n’allez pas vous en sortir grâce au pari sportif! Vous aurez tout au plus suffisamment d’argent pour vous offrir une sortir et plus généralement suffisamment… pour rejouer.
Les plateformes gagnent. Les tipsters gagnent. Le joueur, lui, perd. Et dans cette course au ticket gagnant, c’est souvent sa stabilité financière, mentale, et sociale qui est en jeu.
Je pense qu’il est temps d’en parler, de briser le silence. Il est temps de poser la question : à qui profite vraiment les paris sportifs ?
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