Je ne suis pas spécialiste mais…
Je ne suis pas médecin mais…
Je ne suis juriste mais…
Je ne suis pas policier mais…
Je ne suis pas économiste mais…
Je ne suis pas marketeur mais…
Tout le monde dit tout haut ne pas être expert dans certains domaines mais tout le monde se sent légitime pour donner un avis éclairé sur (presque) tout. Tout le monde est devenu spécialiste de tous les sujets.
Il ne passe plus une semaine où de nouveaux sujets à contreverse émergent sur les médias sociaux. La viralité des réseaux sociaux mêlée à l’oisiveté due au confinement font que tout devient sujet à débat et à polémique. Il faut débattre, ça permet de passer le temps, d’interagir socialement et éventuellement d’apprendre mais surtout d’imposer ses idées et de se faire mousser.
Certains plus que d’autres aiment débattre et s’échinent à vouloir toujours mettre leur grain de sel partout. Nous voulons avoir raison parce que nous pensons avoir raison. Et même lorsque l’évidence est là et que nos faibles arguments s’effondrent comme un château de cartes face à des arguments plus aboutis, nous martelons ces arguments qui au final ne sont qu’un baroud d’honneur.
Mais les vrais savants et les vrais sachants sont capables de dire ce qu’ils savent mais également ils sont capables de dire ce qu’on ne sait pas. Et c’est ce que je reproche à tous ceux qui s’époumonent à longueur de journée pour tenter de faire passer des idées entendues çà et là mais non maîtrisées.
La savoir du chauffeur
Une interlude pour vous raconter un histoire. Max Planck, prix Nobel de physique intervenait en Allemagne pour donner des conférences. On était en 1918. Chaque soir, il répétait la même conférence devant des publics de spécialistes. Pour ses tournées, il était accompagné de son chauffeur personnel qui avait fini par connaître le texte de sa conférence par cœur. Un jour, le chauffeur proposa à Max Planck d’inverser les rôles; il allait faire la conférence et le physicien serait assis dans la salle avec la casquette de chauffeur pour assister. Max Planck accepta cette idée loufoque.
Comme il fallait s’y attendre, le chauffeur récita avec brio son exposé qu’il connaissait sur le bout des doigts. A la fin de l’exposé, un des participants leva la main pour poser une question. Ne connaissant bien sûr pas la réponse, le chauffeur répondit qu’il laisserait la main à son chauffeur vu la facilité de la question.
Bien que connaissant son texte par cœur pour l’avoir maintes fois entendu, le chauffeur était incapable de répondre à des questions précises. La raison était évidente, ce n’était pas son domaine de compétence.
On serait d’accord avec ce récit pourtant tous les jours, nous rencontrons de nombreuses personnes animées de ce « savoir du chauffeur » qui récitent des phrases toutes faites lues ou apprises par cœur mais dès qu’on gratte le vernis, on comprend assez facilement qu’il parle de sujets qu’il ne maîtrise pas et la vacuité de leur argumentation saute aux yeux. Ceci est constaté tous les jours sur les réseaux sociaux. Et il nous arrive à tous de jouer le chauffeur savant de temps en temps…
Comment éviter de tomber dans ce rôle ?
Pour cela, il faut connaître les limites de ses propres domaines de compétences et adopter une position modeste lorsqu’on débat d’un sujet qui sort de ces limites. Cela évite de dire d’énormes bêtises.
La démocratisation des connaissances
On constate que les connaissances sont devenues les croyances d’une communauté particulière alors qu’elles ne devraient pas l’être. Vouloir contester les croyances de cette communauté c’est faire le jeu des bien-pensants nous dit-on. C’était comme si la connaissance n’était en définitive qu’une question de majorité. Mais pas n’importe quelle majorité. La majorité de non experts. Ils se mettent à plusieurs, font part de leur croyance et tous doivent se soumettre à cette croyance: « Je crois que… » comme ils aiment bien le dire. La science n’est pas une question démocratique. Elle est encore moins une question de croyance. Trop de gens croient savoir avant que des expériences soient menées, avant que des études abouties soient réalisées, avant que les personnes compétentes aient donné un avis consensuel… Et parfois ils contestent les avis consensuels des experts parce que cela n’entre pas dans leur schéma de pensée.
Et comme si ce n’était pas assez difficile d’avoir à supporter les avis de non-experts, il a fallu qu’on trouve à tout ceci une appellation déjà difficile à lire et même à prononcer : ultracrépidarianisme. Essayez de prononcer ce mot d’un trait, moi j’ai un peu de mal.
Au cas où vous seriez intéressés, ultracrépidarianisme c’est l’habitude qui consiste à donner des avis et des conseils sur des questions qui échappent pourtant aux connaissances de la personne qui donne son avis.
Ces ultracrépidariens se caractérisent par un principe élémentaire : moins ils savent et plus ils croient savoir et encore plus ils parlent. Ils sont victimes d’un biais cognitif connu en psychologie sous le nom d’effet Dunning-Kruger; les personnes moins compétentes surestiment leurs propres capacités.
Entendons nous bien, nous avons le droit de donner notre avis sur n’importe quel sujet. C’est aussi notre liberté et il n’est pas interdit d’avoir un regard critique même sur des sujets sortants de notre domaine d’expertise. Néanmoins, il faut le faire avec une certaine humilité et être nuancé dans ses propos.
Mais rassurez-vous, il n’y a pas que des citoyens lambda qui croient savoir au-delà de leur compétence avérée. Des scientifiques experts dans un domaine se croient parfois légitimes pour donner un avis sur un autre domaine de la science comme Kary Mullis prix Nobel de Chimie pour l’invention de la réaction en chaîne par polymérase (PCR) qui pensait que SIDA et VIH n’avait aucun lien ou même James Watson un autre prix Nobel, co-découvreur de la molécule d’ADN qui croyait que le soleil activait l’ADN des Sud-américains et augmentait leur désir sexuel… Je préfère éviter de m’étaler sur le Pr Luc Montagnier, co-découvreur du VIH dont les sorties et surtout les sorties de route sur des domaines aussi divers que variés ne se comptent plus. Ces partisans risqueraient de me tomber dessus.
Mais il paraît que l’ignorant affirme, le savant doute et le sage réfléchit. Ceci pourrait peut-être expliquer cela
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