Je ne paierai pas pour un service public gratuit
J’étais jeune. J’étais insouciant. J’étais rêveur. J’avais 18 ans. A cet âge on croit encore au conte de fées. Je voulais passer mon permis de conduire. J’avais appris à conduire, pris des cours de code de la route. Fin prêt, j’avais été programmé d’abord pour le code puis longtemps après pour la conduite.
La consigne du moniteur était claire. Il fallait que je lui remette des espèces sonnantes et trébuchantes pour l’inspecteur. C’était la règle.
Jugé apte au code j’avais louvoyé pour éviter de payer; pas par avarice mais plutôt par principe. Je vous rappelle que j’étais jeune et quand on est jeune on a encore des principes.
Donc pourquoi payer pour un service censé être gratuit?
Je fus ensuite déclaré apte à la conduite. Là encore coup de chapeau j’avais louvoyé pour l’obtenir sans payer.
J’étais en paix avec ma conscience… en fait à moitié. L’auto-école devait transmettre les dossiers au ministère pour que le permis soit délivré. Et là patatras! L’auto-école qui n’était pas dupe m’annonça que mon dossier avait été égaré. Il fallait payer pour reconstituer ce fameux dossier. Et comme par hasard, le montant était équivalent à celui que je devais débourser pour les inspecteurs. A malin malin et demi.
Même au commissariat
« Mon frère! Mon frère! »
C’était moi qu’on hellait de la sorte ?
Je me retournai et tandis que je m’apprêtai à sortir du commissariat, je vis un jeune homme venir vers moi en accélérant les pas.
– Je viens d’assister à ce qui s’est passé avec le policier. C’est mieux de payer ce qu’il a demandé si tu as besoin de ce document.
Quelques minutes plus tôt, j’étais à l’intérieur du commissariat. Je devais établir un document administratif pour lequel il fallait un timbre. L’établissement du document coûtait 2000 F. Pourtant sur le timbre que me présenta le policier était estampillé le montant de 500 F. Pourquoi cet écart de prix ? Question que je posai tout surpris que j’étais.
C’est pour le transport me répondit l’agent. A ma question de savoir où il allait acheter ses timbres il me répondit à la mairie de Cocody.
Cocody ? (Commune de la ville d’Abidjan) Même en taxi, ce montant couvrait largement le transport. Et puisque les timbres sont achetés par lots ils se faisaient une très grosse marge.
Je ne me privai pas pour le lui faire comprendre en rapelant au passage un écriteau à l’intérieur du commissariat qui disait que les services délivrés par le commissariat étaient à titre gracieux.
Il m’envoya paître en me disant d’aller acheter le timbre moi-même.
Furieux je sortis du commissariat avant d’être rattrapé par un homme qui réussit à me faire comprendre que si je voulais mon document dans les meilleurs délais il fallait céder aux exigences de l’agent. En ramenant mon propre timbre, mon dossier pourrait mettre plusieurs semaines à être signé… s’il n’était pas perdu entre temps.
La queue entre les jambes je fis demi-tour. Je remis la somme pour l’établissement du fameux document et je retournai chez moi. Quelques heures plus tard je reçus un coup de fil. Une dame appelant du commissariat me demandait de passer récupérer le document que j’étais censé aller chercher dans 2 jours. Quelle célérité!
Couché je sautai à bas du lit, le temps d’enfiler un polo et j’étais déjà au commissariat. J’entrai dans le bureau de celle qui m’avait passé le coup de fil. A la remise de mon document, je lui glissai délicatement un billet pour lui dire merci.
Elle refusa et je dus insister… 3 secondes pour qu’elle revienne à de meilleurs sentiments. « C’est pour votre déjeuner » dis-je pour me donner bonne conscience ou dire ce qu’on disait en de telles circonstances.
Il y avait toujours une raison de payer. Quelqu’un me disait qu’une fois institutionnalisé un pot de vin n’était plus un pot de vin et il devenait des frais normaux entrant dans la structure de prix d’un service… même public.
Finalement j’ai fini par m’y faire. Je lisais récemment les critiques acerbes d’un certain nombre de personnes qui critiquaient des chauffeurs de véhicules de transport en commun et leur reprochaient d’avoir acheté leur permis de conduire. Ça m’a fait réfléchir et surtout sourire. Je me suis dit que cette personne avait dû oublier qu’en passant le permis elle avait dû payer. Oui payer parce qu’on m’a certifié que tout le monde absolument tout le monde paye pour être reçu à l’examen de code et de conduite au point où il m’arrive de me demander si j’ai été jugé apte parce que je le méritais ou parce qu’il était établi que je devais graisser des pattes.
Une dernière pour la route
Je vous disais que j’avais été jeune. Que j’étais insouciant et tutti quanti.
Un jour dans des circonstances sur lesquelles je ne m’étalerai point mon permis fut confisqué par un agent de police. Pourtant j’avais raison mais même si j’avais raison selon le policier je devais payer. Je ne comprenais pas la logique. Il m’arrivait de ne pas toujours tout comprendre surtout les situations évidentes comme celles-ci.
« Je paierai à condition que vous me fassiez un reçu » dis-je. Ce n’était pas une contravention il n’y avait donc aucune infraction qui pouvait donner lieu à l’établissement d’un PV. Mais selon l’agent « la loi, selon sa loi », il devait confisquer mon permis que je dus lui remettre sans coup férir. Mon zèle avait des limites.
– AGC: Où pourrai-je récupérer mon permis
– Policier : Allez le prendre à la préfecture de police
– AGC : Quand pourrai-je aller le récupérer?
– Policier : Tout à l’heure quand je finis mon service, j’irai le déposer
Quelques jours plus tard je me rendis à la préfecture de police. J’expliquai la situation au policier qui me reçut à l’accueil. D’abord il chercha dans un lot de permis et il me fit savoir que le mien n’y était pas. Il me dit ensuite d’appeler le policier et de régler la question avec lui parce que dans ces situations les permis ne sont JAMAIS déposés à la préfecture.
La queue entre les jambes une fois de plus, je dus me résigner à l’appeler.
Il se fit désirer mais me donna RDV dans un commissariat du Plateau (quartier d’affaires de la ville d’Abidjan) et finit par me remettre mon permis moyennant les espèces sonnantes et trébuchantes que j’ai refusé de verser.
Tout est bien dans le meilleur des mondes. J’avais (enfin) compris que la solution pour faire avancer un dossier, pour récupérer un document, pour être reçu par quelqu’un,… était de payer.
Il y a des corrupteurs parce qu’il y a des corrompus et il y a des corrompus parce qu’il y a des corrupteurs. Parfois les corrupteurs croient qu’ils n’en sont pas ou que ça s’impose à eux à tort ou à raison.
Depuis lors j’ai la critique plus modérée…
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