Comment j’ai failli être le Bill Gates noir
Réminiscence…
C’était devenu presqu’une coutume, chaque année le patronat organisait une académie, une sorte de plateforme afin de permettre aux chefs d’entreprises de venir partager leur expérience. Une fois de plus j’étais obligé d’y assister en léger différé avachi dans mon fauteuil.
Voici ce que je regardais :
Et pendant que je regardais ces jeunes chefs d’entreprise en train de donner les tips et conseils pour devenir un chef d’entreprise à succès, une sorte d’Aliko Dangote en mini comme eux je me remis à penser à cette entreprise.
Tout avait commencé par un banal coup de téléphone:
– Allô
– Allô. Salut guerrier, j’ai besoin de ton aide. On peut se voir?
– On dit quoi guerrier? Rien de grave, j’espère?
– Non rien de grave. Juste parler business.
– OK. On se voit today à la descente. Peace & Love Guerrier.
– Je passe te voir. Peace & Love
Parcours d’un projet
« Guerrier« , c’était certes une manière qu’on avait de s’appeler mais on se considérait comme de véritables guerriers, comme des survivants.
Après des études communes en marketing et en commerce, KGM avait bossé dans un cabinet d’études de marché tandis que moi je m’étais orienté vers la communication ou plutôt vers la pub même si depuis lors les choses ont beaucoup changé.
A un moment donné de sa vie, suffisamment formé par ses anciens employeurs il avait saisi l’opportunité de se lancer à son propre compte poussé par la force du destin.
Auto-entrepreneur dans l’âme je me rêvais en Bill Gates. Depuis fort longtemps j’étais un aficionado des entrepreneurs. Qu’ils soient Ivoiriens, Français, États-uniens, je les connaissais presque tous. Je suivais leur vie et surtout celle de leurs entreprises dans les magazines Management, Capital et je poussais le bouchon à acheter leur biographie.
Chaque samedi à l’hôtel communal de Cocody la liste des mariés était longue. Le mariage et son industrie ne s’était jamais aussi bien porté. Du jeudi au samedi, les hommes dans leur costume 3 pièces et leur reine dans leur robe blanche se succédaient pour dire un « Oui » tonitruant devant le maire. A l’hôtel du District du Plateau, à la mairie du Plateau le quartier des affaires et à l’hôtel communal de Cocody, la liste des mariés était longue comme un bras.
Tous les mariés veulent être les Stars du jour et le mariage est une industrie qui fait intervenir plusieurs acteurs : des couturiers, au costumier des tenues traditionnelles en passant par les décorateurs, les photographes, cameraman, les loueurs de véhicules, les coiffeuses et esthéticiennes et les bijoutiers pour ne citer que ceux-ci. J’avais entrevu une opportunité de se faire de l’argent. Il était difficile de se retrouver dans ce dédale des acteurs. Et si on les rassemblait sur une plateforme commune avec coordonnées, localisation précise grâce à Google Maps, photos de leur boutique et travaux effectués?
C’est l’idée de génie que nous avions eu d’abord à 2 et très rapidement à 3, OB, DB et moi.
Nous étions de doux rêveurs mais nous avions la tête sur les épaules. Il fallait challenger cette idée et la confronter avec les réalités du terrain.
KGM dont c’était le métier serait celui qui validerait ou invaliderait notre doux rêve.
C’était la raison de notre rencontre. Après lui avoir expliqué le projet, il fut agréablement surpris par la démarche. Faire une étude de marché pour voir si on pouvait à la fois avoir des visiteurs sur notre site web et quels contenus leur proposer et aussi si on pouvait avoir des prestataires qui voudraient adhérer à notre plate-forme. Pour lui c’était la démarche à suivre mais très peu suivie par les entrepreneurs surtout les tous petits entrepreneurs comme nous.
Après quelques semaines, c’est avec brio qu’il nous déroula les résultats de l’étude. Il y avait un marché certes dans lequel un acteur était déjà positionné mais un duopole sur ce marché ce n’était pas énorme. Il y avait donc une place à se faire pour cette entreprise.
Maquette sur maquette avec un web designer qui vivait aux States. Achat de matériel professionnel : la fameuse caméra reflex, tout était prêt pour lancer le site www.nocesivoire.com. Nous étions en 2010. Les photos nous les faisions nous-mêmes nous relayant selon nos disponibilités. Nous rédigions des articles sur tous les aspects du mariage : religieux, traditionnel, civil, etc. Nous abordions même d’autres sujets.
La courbe de visites ne cessait de grimper mais les prestataires ne se précipitaient et quand ils venaient, ils refusaient de payer alors que notre business model était basé dessus.
Des actions stériles
Communication online et offline, j’avais tout défini et nous suivions scrupuleusement mes recommandations mais l’argent refusait de pointer son nez dans les caisses de notre startup.
Malgré tout, nous nous étions payés le luxe de refaire le site web avec une nouvelle charte graphique, de nouvelles couleurs, un nouveau logo plus de photos et d’articles et même des buzz non sollicités comme le « binguiste » (une personne vivant dans l’Hexagone) qui fit son mariage en catimini alors que sa belle qui l’attendait à Abidjan le découvrait convoler en justes noces sur notre site web.
Pour nous protéger contre d’éventuelles actions en justice en plus d’avoir des autorisations des mairies, les mariés et leur staff devaient nous donner quitus par écrit. Tout fut fait mais le succès ou plutôt l’argent tardait à venir: salon du mariage de Paris, salons et participation à tout ce qui était imaginable à Abidjan.
Que nenni. On connaissait le succès mais pas la richesse. On ne s’autofinançait pas et nous étions en 2014.
Il fallait prendre une décision et la plus judicieuse était de tout arrêter. Mais et tout l’argent qu’on avait investi?
Attention à ne pas faire comme Concorde
C’est l’aveu de l’échec qui par orgueil nous poussait encore à continuer sans grande motivation. Nous étions peut-être trop en avance sur notre temps ou simplement les prestataires n’auraient pas dû être ceux qui devaient servir de source de financement à notre business et il fallait trouver un autre modèle économique. On découvrait que l’entrepreneuriat c’était dur.
Une chose est certaine, ça ne marchait pas. Il fallait tout arrêter.
L’heure pour nous de devenir les Bill Gates noirs n’était pas encore arrivée.
Nous avions porté à bout de bras un site web qui n’était pas rentable et nous étions en train de commettre les mêmes erreurs que les dirigeants de Concorde. Continué à investir dans un projet non rentable parce qu’on y avait déjà investi beaucoup de temps et beaucoup d’argent, ce qu’on appelle le biais des coûts irrécupérables. 4 ans pour pouvoir cautériser la plaie et arrêter ce saignement financier. Nous étions tous les 3 enfin délivrés, débarrassés de ce lourd fardeau.
Pendant que la vidéo des intervenants de la CGECI Academy 2019 arrivait à son terme, je continuais à me poser la question: « Qu’avons nous raté dans ce projet? » Nous avions l’idée, la passion, la méthode et les hommes mais nous avons raté notre projet.
Et si toutes ces méthodes ne suffisaient pas à rendre un site rentable? Et si le hasard ou la grâce divine était un élément non négligeable dans la réussite entrepreneuriale?
Et si tous ces chefs d’entreprise étaient victimes du biais du survivant? Mais ça c’est un autre sujet dont je vous parlerai très bientôt…
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