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Viendra la nuit où tous les chats noirs seront pris

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Viendra la nuit où tous les chats noirs seront pris

« Ça ne va pas. Tu es fou! » Ce cri strident avait retenti dans la moiteur de la nuit. Ce cri interrompit mon sommeil mais pas que le mien. Mi-éveillé mi-endormi je me demandais si c’était un cauchemar; d’abord le mien puis celui du crieur ou plutôt de la crieuse. J’avais hélas constaté que je n’étais pas le seul à avoir entendu cet hurlement. On était dans le noir et les chuchotements commencèrent: « vous avez entendu?« , « Oui oui« , « Qu’est ce que c’est?« , « On ne sait pas mais on dirait que ça vient de la chambre des filles« .
Nous avons été interrompus dans nos élucubrations nocturnes par la lumière. Quelqu’un venait d’allumer la lumière.
Il était entre 4h et 5h du matin. Toute la maison était réveillée. On allait enfin savoir ce qui se tramait surtout qu’on entendait 2 voix se disputer ou plutôt une voix qui parlait haut et fort tandis que l’autre à demi teinte semblait se justifier.

Ça faisait moins d’une semaine que j’étais venu passer des vacances chez mon oncle et ma tante. On était quelques garçons et quelques filles répartis dans les chambres de la maison.
Une très jeune employée de maison avait été recrutée pour apporter une aide à celle qui était déjà présente. Peut-être en prévision des vacanciers dont je faisais partie.
On fut tous réveillés et rassemblés à 5h du matin dans la salle de séjour qui faisait office de salle de séances ou plutôt de salle d’audience de tribunal. La partie plaignante : la nouvelle employée et la partie adverse : un cousin qui était sensiblement plus âgé que moi.
Qu’est ce qui s’est passé demanda la mère des lieux? L’accusation commença son réquisitoire: « Tantie, j’étais couchée et puis à un moment je sens dans le noir quelqu’un qui est en train d’enlever mon pagne et de se coucher sur moi. Il voulait me violer. C’est là j’ai crié.« 
Nous étions tous estomaqués.

« Allons doucement avec ces termes » dit la maîtresse de maison qui voulait pour l’instant ne s’en tenir qu’au fait.
S’adressant au cousin avec un ton ferme: « Toi tu faisais quoi là-bas?« 
– Je n’ai rien fait. Je voulais aller au toilettes et je me suis trompé de porte et mon pied l’a touché et elle a commencé à crier.
– Tantie c’est faux. Il a enlevé mon pagne.

Ils allaient recommencer à se chamailler. Le flagrant délit n’était pas constitué. Le cousin avait eu le temps, au cri de la jeune fille, de sortir de la chambre. Son argument même s’il était bancal était plausible. A moitié endormi, il est possible de se tromper de porte. En plus la demoiselle dormait sur un matelas posé à même le sol juste à l’entrée de la chambre.
En plus, qui se risquerait à essayer d’abuser d’une fille au milieu d’autres filles même si elles étaient endormies. Un acte sexuel est sensé faire du bruit.

Après avoir menacé tous les garçons de la maison, notre tante nous invita à regagner nos chambres et à y rester. De nouvelles instructions furent données dès le levé du jour: les filles devaient s’enfermer à double tour le soir et aucun garçon ne devait se risquer à vagabonder à proximité de leur chambre sinon il en paierait les conséquences. Ces directives étaient claires et elle avait été très dure avec nous.
Pour moquer ce cousin, les autres le surnommèrent chat noir. On me dit que c’est ainsi qu’on appelle le fait de s’introduire nuitamment dans la chambre d’une fille pour avoir des rapports sexuels avec cette dernière.
Ces rapports étaient-ils consentis? Là n’était pas la question. Il fallait juste ne pas se faire prendre. Je compris au fil des années que cette pratique était répandue. De très nombreuses familles avaient des anecdotes sur ce sujet. Fantasmé ou réel cela faisait rire tout le monde.
Bien des années plus tard je prends conscience qu’il s’agit de viols soit sur des mineurs soit sur des filles plus âgées. Le point commun de ses filles c’est d’être des employées de maison, des servantes, des bonnes à tout faire. Leurs employeurs ou les garçons de leurs employeurs jouent sur la précarité de ces filles en leur faisant entrevoir la possibilité de perdre leur si elles parlaient, si elles ne se laissaient pas faire. Et en plus qui pourrait les croire. Heureusement qu’il y a certaines qui refusent de se laisser faire comme la jeune fille qui travaillait chez ma tante. Même si nous n’avons jamais eu de preuves de cette tentative de viol (appelons les choses par leur nom), une vingtaine d’années plus tard je lui tire mon chapeau.

Les années passent mais la bêtise persiste. En Côte d’Ivoire chaque année plusieurs filles subissent ces sévices et trop peu souvent elles en parlent.

Rapport des Nations Unies de 2016

Quelques chiffres sur l’état des viols en Côte d’Ivoire

1129 cas documentés de 2012 à 2015
Moyenne : 283 cas / an
Nombre de viols collectifs (+ 2 auteurs) : 165 cas
Une progression de la part de mineurs violés
– 2012 : 51%
– 2013 : 64%
– 2014 : 71%
– 2015 : 80%
Soit une moyenne de 66% de mineurs violés
Âge des victimes : 3 et 17 ans
Les principales villes concernées : Bouaké, Guiglo, Duekoué, Abidjan, Yamoussoukro, San Pedro
Auteurs : principalement des membres de la famille : le père, l’oncle, le frère, le cousin, le beau-fils, le gendre ou le grand-père

Sources :
Rapport sur les viols et leur répression en Côte d’Ivoire
Violences sexuelles et conjugales en Côte d’Ivoire

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